La Rochelle, octobre 1628
J'étais étendue sur le sol et j'observais un tableau de ma famille brûler dans l'âtre... les visages se déformant lentement dans des bulles de couleurs pour être ensuite avalés par les flammes. Le manoir était vide, nu; au fil des mois, nous avions dû nous résigner à brûler tout ce qu'il contenait afin de survivre à l'hiver dernier et maintenant que le froid revenait nous hanter avec l'arrivée de l'automne, même les souvenirs de nos ancêtres devaient être sacrifier sur l'autel de notre survie. J'observais le feu, les yeux hagards, livides, tremblotante et un creux énorme me grugeant les entrailles: la douleur de la faim qui m'habitait sans cesse depuis des mois, mais dont la douleur est toujours un supplice. Dans le miroir flanquant le foyer, j'observais mon reflet: je n'étais plus que l'ombre de moi-même, les joues creuses, le teint pâle: nous n'étions que des cadavres en sursis; mes vêtements sals et usés, sous une couverture qui était notre seule planche de salue, serré contre mon époux qui; agonisant, ne tremblotait plus: la mort viendrait probablement le délivrer bientôt. J'entendis alors un râlement, je me souvins qu'un peu plus loin, mon petit frère agonisait aussi, son souffle s'interrompit, mais je n'eus même pas la force de ramper pour l'accompagner dans ses derniers instants; il s'est éteint là, seul, sur le plancher de notre salon qui avait jadis été un de nos terrains de jeu préféré alors que j'étais enfant. Une larme coula sur ma joue, était-ce de la peine, du désespoir ou de la joie? Je sanglotai un souvenir joyeux puis, la douleur de la faim m'assailli. Je me traînai jusqu'à la hache près du foyer que je pris, me levai puis; sans sourciller, je réunis mes dernières forces afin de tailler mon petit frère en morceau. Chaque os broyer m'arrachant une autre parcelle de mon humanité agonisante. Nous en étions réduit à cette extrémité pour survivre, chaque fois que la hache frappait son corps; je maudissais les catholiques qui nous retenaient prisonniers dans notre cité dans chacune de nos maisons, le même terrible spectacle: des familles réduites à manger les cadavres de leurs proches. Je fis cuir mon frère dans les flammes du cadre de notre famille qui disparaissait. Un sourire apparut sur mon visage alors que la faim me quitta, repu par la chaire de mon frère. Comment vous donner les mots de la haine indicible qui naît en vous lorsque vous êtes soumis à un tel traitement, un agoni de souffrance, de terreur et d'immoralité sans nom: lorsque votre instinct de survie efface toute trace de qui vous avez été?
Nous n'avions rien mangé depuis des jours; après les chiens, les chats, les chevaux et les rats; nous avions fait bouillir le cuir de nos ceintures, de nos souliers et même des sels de nos chevaux... puis lorsqu'il n'y eut plus rien, ils ont commencé à mourir les uns après les autres. Ne pouvant sortir de la cité pour enterrer nos morts, nous devions les laisser pourrir sur la devanture de nos maisons et regarder leur regard vide jusqu'à ce qu'on les rejoigne dans la rue, il nous fallu descendre encore un autre palier de l'enfer afin de nous résigner à manger ceux que nous avions jadis aimé.
Il y a plus d'un an déjà, je me mariais et les 62 membres de nos familles élargies étaient réunies, lorsque nous sortîmes du Temple Protestant, les cloches de toutes la ville se mirent à sonner; nous pensâmes alors que nos parents nous avaient préparé une belle surprise... mais non, les cloches étaient les trompettes de l'Apocalypse annonçant l'arrivées des troupes infernales: Le Cardinal Rouge voulait se repaitre du cadavre de la Belle La Rochelle et pour sa, il allait l'affamer. L'orgueilleux Cardinal Richelieu assiégea la ville et tout habitant qui en sorti fut abattu par ses troupes, du moins, les plus chanceux car les femmes étaient souvent capturées pour être violée par ses soldats avant de finalement être exécutées après des jours de supplices, plantées sur une pique afin que leurs familles toujours prisonnières puissent les voir être dévorées par les corbeaux. Nous sommes rapidement descendus en enfer lorsque les provisions se mirent à manquer au terme de quelques mois. Les catholiques ne levèrent pas le siège, ils ne prirent pas la ville, ils nous laissèrent mourir: ils voulaient notre cité, pas ses habitants. Nous étions 30 000, au terme du siège; nous n'étions plus que quelques milliers; de nos familles, il ne restait plut que moi et mon époux. Cette descente aux enfers a été notre voyage de noce; j'avais 20ans.