La fête avait duré jusqu’au petit matin, ce qui sur Élysée n’était pas négligeable.
-Alan tu as un rendez-vous dans une demi-heure.
À ces mots Alan ouvrit les yeux et aperçut une jolie jeune femme aux cheveux roux debout devant lui et lui sourit bêtement.
-Pas de problèmes Laura, je serais prêt, articula difficilement Alan.
-Jade est déjà en salle de réunion dépêche toi.
Laura est la quatrième membre de l’équipe de Miznjic. Secrétaire personnelle d’Alan, elle est néanmoins employée directement par le directeur Takanabe afin de le surveiller lui et sa fille. Ancienne actrice-vedette d’une série de Starflix, elle connaît tous les grands noms du divertissement d’Élysée. Ses contacts sont très utiles afin d’inviter de futurs clients de l’Agence. Bien qu’en théorie seulement secrétaire, son rôle dans l’équipe était bien plus grand, ayant généralement de très bons conseils et de savoureux traits d’esprit.
Alan se leva de son lit et se dirigea vers la salle de bains. Il prit une douche vivifiante et un cachet contre la gueule de bois. Ces médicaments avaient une efficacité modérée, ils atténuaient les symptômes sans toutefois les supprimer. L’Alliance possédait les connaissances pour améliorer ces médicaments mais avait fait le choix de les garder peu efficace afin de ne pas entrainer une surconsommation dangereuse liée au fait de ne plus avoir de conséquences aux abus.
Il s’habilla rapidement et se dirigea vers la salle de réunion. Jade était effectivement présente, buvant un long verre d’eau afin de calmer son mal de tête.
-Ce chanceux de Gab’ est encore chez lui, il n’a pas besoin d’assister aux rendez-vous lui, se plaignit Alan.
-Je crois bien qu’il a ramené chez lui tes amies blondes en plus de ça, répondit Jade.
Alan s’amusa de ce résultat. Mais il était temps de redevenir sérieux car leur rendez-vous était arrivé. Il s’agissait d’un chef ingénieur de la filiale recherches et développement de Behzad. Il présenta son problème aux deux enquêteurs.
-Je dirige une équipe travaillant sur des projets cruciaux. En raison de l’importance de nos recherches les mesures de sécurité sont très élevées. Pourtant, il y a quelques jours de nombreux documents importants ont disparu. Au même moment l’un de mes meilleurs assistants à également disparu. L’administration pense qu’il est allé vendre ces documents à des rivaux mais… Je le connais bien, il n’aurait jamais trahi l’entreprise, on était sa famille.
-Quelle est votre théorie ? Demanda Jade d'une voix douce et compatissante à la détresse de l’ingénieur.
-Je pense qu’il a été forcé et enlevé. Par des terroristes ou des dissidents. J’ai peur qu’il ne soit mort.
Lors des entretiens avec les clients, Alan avait l’habitude de jouer avec un stylo entre ses doigts. Il ne l’utilisait pourtant jamais pour noter des choses. Il disait que cela l’aidait à focaliser son attention. Il fit cliquer le stylo en appuyant sur son bouton. Autour de l’enquêteur le temps semblait s’être figé, il se déplaça lentement vers son client et l’observa attentivement. L’ingénieur immobile était nerveux, ses mains étaient entrecroisées et les rides de son front visibles. Ses yeux dans le vague démontraient une profonde inquiétude. Envers son collègue ou quelque chose d’autre. Une goutte de sueur était figée sur le front de l’homme. Alan fit le tour de son client et retourna à sa place initiale en passant à côté de Jade qui était figée dans son action de se servir un nouveau verre d’eau. Le clic du stylo retentit à nouveau et la conversation reprit.
-Vous savez, les choses sont souvent très simples dans ce genre de cas. Sur quoi portent ces recherches ? Demanda Alan.
-Je… c’est classifié.
-C’est surtout essentiel pour notre enquête, dit Alan.
Après quelques secondes de réflexion l’ingénieur expliqua.
-Nous travaillons sur un prototype de moteur hyperspatial compact. A terme il pourrait équiper des petits vaisseaux comme des navettes. Ça ouvrirait la porte à la démocratisation des voyages galactiques.
Alan et Jade se regardèrent étonnés d’une telle prouesse technologique. La technologie de voyage galactique était maitrisée depuis la création de l’Alliance il y a deux siècles, mais elle avait toujours était limitée à d’énormes vaisseaux avec une centaine de membres d’équipages. Des navettes plus simples existaient mais elles étaient limitées aux voyages entre planètes d’un même système, ne pouvant accueillir les imposants moteurs hyperspatiaux.
-Mais le problème va encore plus loin, les documents disparus étaient les seuls exemplaires. Sans eux nous perdrions des années de travail. Il vous faut donc retrouver mon collègue, retrouver les documents et comprendre pourquoi il aurait risqué de trahir l’entreprise.
-Eh bien, on ne s’ennuie pas avec monsieur Behzad. C’est entendu nous allons nous en occuper. Concernant le tarif… dit Alan.
-Le client est Monsieur Behzad, je ne suis que son représentant.
Alan signa plusieurs papiers et les remit à son client qui partit aussitôt en saluant poliment les deux enquêteurs.
-L’enquête va être compliquée, déclara Jade.
-Oui, mais ça concerne Behzad, difficile de refuser quelque chose au grand patron.
Les deux enquêteurs commencèrent les recherches préliminaires. Se renseigner sur ce fameux ingénieur et également sur les projets de recherche des concurrents de Behzad.
Raoul Macgerton était un brillant ingénieur. Jeune diplômé de l’Académie de la Terre, il s’était spécialisé dans les systèmes d’énergies, puis dans l’ingénierie des moteurs hyperspatiaux. Sans famille proche, il ne pouvait pas subir de pressions de ce côté-là. Les relevés de ses comptes bancaires et de messagerie ne laissaient paraître aucune activité étrange, mais ce genre d’analyses était plutôt la spécialité de Gabriel. L’informaticien arriva d’ailleurs quelques minutes plus tard, visiblement très heureux de sa nuit. Il se mit au travail.
-On dirait bien que la cible s’est fait plaisir, il s’est acheté une maison à Néron-Ville il y a deux mois. S’il n’a rien à se reprocher, pourquoi acheter là-bas. Il a tenté de maquiller son achat, son patron ne doit pas être au courant. Il s’y cache peut être.
Si Hésiodos était la ville lumière d’Élysée, Néron-Ville en était l’exact opposé. De son vrai nom Caesar-Ville elle devait être à l’origine la ville du jeu et du spectacle. Mais l’installation de mafias et groupes de criminels ont rapidement rendus la ville dangereuse et hors d’atteinte des forces de police. Elle est devenue une zone de non droit dirigée par la Pègre, véritable état autonome possédant sa propre administration et milice. Elle est une épine dans l’engrenage presque parfait de l’Alliance, mais malheureusement aucune intervention n’est possible, NéronVille ayant invoqué son droit de déclarer leur indépendance.
Alan et Jade se préparèrent à partir pour Néron-Ville. Jade était équipée de sa tenue de combat, long manteau violet, bottes montantes à talons. Ses cheveux noirs attachés en une longue queue-de-cheval complétaient son apparence. À l’intérieur de son manteau, ses armes favorites étaient rangées, de nombreux couteaux. Alan de son côté enfila son vieux manteau de détective et s’équipa de son holster. Sa tenue était inspirée de celle d’un chasseur de primes d’une vieille série Starflix qu’il regardait étant enfant. Le charisme de ce personnage l’influençait encore aujourd’hui. Il possédait tout comme son héros un vieux modèle de pistolet à cartouches classiques. Ce genre d’arme était plus difficile à manier que les armes modernes, mais il préférait la simple odeur de la poudre à celle des décharges de cosmonium.
Très satisfaits de leurs tenues, les deux enquêteurs se dirigèrent vers le sommet de la Tour, au 47e étage. L’agence mettait à la disposition de ses employés des navettes afin de rallier rapidement les villes de la planète ou d’autres destinations dans le système. Jade s’installa aux commandes, Alan se contentant de mettre de la musique afin de passer le temps. Il n’était pas un très bon pilote et de toute façon Jade refusait qu’il ne conduise. La navette décolla en direction de NéronVille, plus précisément le Club de la Rose.
Se rendre dans une telle ville sans y connaître du monde était presque suicidaire, surtout pour des représentants de la loi de l’Agora. Mais heureusement Alan connaissait bien l’un des chefs de gang de la ville. Daniel Rosenwald est le propriétaire du Club de la Rose, un lieu où le divertissement est roi, que ce soit sous forme de jeux d’argents ou de plaisirs plus charnels. Rosenwald a imposé son règne sur une portion de la ville en écrasant violemment la concurrence. Chose aisée lorsque la loi ne l’empêche pas. Il possède néanmoins un certain sens de l’honneur, refusant de prendre part à la vente de drogues. Il y a quelques années, alors qu’il était à Hésiodos pour affaires, il fut sauvé par Alan d’une tentative d’assassinat de la part d’un de ses rivaux. Le rival fut traqué et envoyé dans le vide spatial. Il garda tout de même en tête la personne qui l’avait sauvé et servait désormais d’informateur au détective.