La puissante alarme sonore et visuelle, signe d'un danger imminent retentit à travers le vaisseau. Chacun des membres de l'équipage savait ce qu'il devait faire dans ce genre de cas. Les alertes rouges étaient rares, mais pas impossibles et dans ce genre de situation chaque seconde comptait. Le commandant se dirigea à toute vitesse vers le pont principal, accompagné de son escouade.
Sur l'écran principal, il eut un aperçu de la situation. Epsilon était assiégé par une flotte de Sauvages de l'Est. Bien que moins farouches que leurs cousins de l'Ouest, ils compensent leur puissance physique par une plus grande intelligence. Les lézards avaient visiblement pris le contrôle de la station, en raison du manque de riposte des canons de défense. Les vaisseaux n'étaient pas très puissants ni très résistants, étant sommairement composés de corail spatial que les sauvages élevaient en orbite de leurs planètes. Ils les équipaient ensuite de technologies obsolètes récupérées dans leurs pillages. Leur grand nombre posait néanmoins un grave problème. Le Thésée, bien que théoriquement plus puissant allait avoir du mal à résister à un assaut frontal.
— Commandant, je vais vous confier une mission cruciale, cela sera votre baptême de sauvetage. Introduisez-vous dans la station et réactivez les défenses. On va retenir l'attention de la flotte pour vous laisser agir, mais on ne tiendra pas indéfiniment et notre armement n'est pas suffisant.
— À vos ordres mon capitaine.
Bertinelli, le visage fermé, déjà en pleine réflexion quant à la stratégie à suivre, quitta le pont de commandement. Ortega et Sigurdsonn le suivirent immédiatement.
— Major, pour cette fois, vous resterez ici. La mission est trop cruciale et vous n'êtes pas encore prêt.
— Totalement d'accord mon commandant.
— Lieutenant, ça sera à nous de jouer. Le capitaine va nous téléporter directement dans la station, on ne sait pas qui sera là pour nous accueillir. Prenez tout ce dont vous pourriez avoir besoin afin de réparer les commandes de défenses, on ne sait pas dans quel état on les retrouvera. Ces lézards ont sans doute saboté voire détruit le panneau. Retrouvez-moi à l'aire de départ dans 5 minutes.
Le groupe se sépara. De son côté, le capitaine devait opérer une manœuvre délicate afin de permettre au commando de s'infiltrer. Une navette serait sous le feu ennemi, donc il fallait procéder à une téléportation. Mais les choses ne sont pas si simples. Une téléportation ne peut pas se faire n'importe comment. Le vaisseau possède plusieurs projecteurs qui envoient un rayon de lumière invisible, c'est ce rayon qui permet la téléportation. Lors d'une téléportation en extérieur, cela ne pose pas de problème, mais pour téléporter en intérieur il faut que le rayon soit capté par un récepteur. Et afin de pouvoir atteindre le récepteur, il va falloir se mettre à portée des vaisseaux ennemis. Le Capitaine fit réguler les flux d'énergie du vaisseau, optimisant au maximum les boucliers. Au niveau des armements, le Thésée était équipé de simples lasers de forages. Il n'était pas pensé pour les combats spatiaux, sa vitesse suffisait généralement à semer les ennemis. Mais là, il n'était pas question de fuir.
Le vaisseau commença sa manœuvre. Les vaisseaux sauvages ouvrirent le feu, les boucliers du Thésée encaissèrent sans problème les salves. L'armement sauvage était archaïque, de simples projectiles explosifs sans amélioration au cosmonium ou au drievium comme les armes de l'Alliance. Le vaisseau se mit dans la bonne inclinaison et déploya son rayon de téléportation.
Bertinelli et Ortega se retrouvèrent transportés dans la station. Au moment où ils apparurent, des sauvages étaient présents. Les deux humains les prirent de vitesse et les abattirent en une fraction de seconde avant de se mettre à couvert et préparer la suite.
— Thésée, ici commando, arrivé sur site. Faible présence sauvage.
Le commandant et le lieutenant étaient tous deux équipés de leur amure de combat, comportant un blindage lourd, un bouclier déflecteur et un casque tactique. L'armure permettait également de survivre en milieu de vie hostile. Au vu des capteurs, l'air était respirable, bien que très froid. Les systèmes de survie de la station étaient sans doute en partie endommagés. Bertinelli pensa silencieusement que dans leur bêtise, les lézards auraient pu tous se tuer s'ils avaient interrompu le système d'oxygénation. Les besoins en air des lézards étaient proches de ceux des humains, un incident de ce type pourrait tuer toutes les personnes à l'intérieur. Il fallait donc faire vite avant qu'un de ces sauvages ne fasse une erreur irréparable.
Le commandant rétracta son casque afin de prêter attention à son environnement. Le lieutenant observa son commandant, un peu songeuse.
— Trois autres arrivent par ce couloir, suivez moi.
Sans chercher à comprendre comment il pouvait le savoir, le lieutenant obéit. Ils se mirent à couvert dans l'angle du couloir. Le commandant déchargea une salve rapide et abattit les trois lézards avant qu'ils aient eu le temps de réagir. La manœuvre était impressionnante de rapidité et de précision. Lors de son affectation dans l'équipage du Thésée, le lieutenant avait consultée les dossiers des officiers de commandement. Elle avait été intriguée par celui de Bertinelli en raison du grand nombre de passages censurés. Après la guerre, il avait visiblement rejoint les forces spéciales de l'Alliance, ce qui expliquait ses compétences de terrain. Mais difficile pour elle de savoir à quel point il avait participé aux opérations obscures de l'Alliance. Il était de notoriété publique que des groupes de dissidents politiques avaient aidés les sauvages à lutter contre les forces de l'alliance. Elle savait que les principaux responsables de cette trahison avaient été traqués par les forces spéciales. Mais elle n'avait aucun contact parmi eux et ne connaissait donc pas les détails ni l'ampleur de cette chasse aux traîtres. Dans tous les cas, être à un poste de second dans un vaisseau aussi prestigieux à même pas quarante ans était une preuve de ses compétences et de son engagement au sein d'ARGOS.
Le commando continua son chemin prudemment à travers les couloirs. Afin de se repérer, ils pouvaient compter sur leurs IVA. Chaque soldat de l'alliance possédait un implant informatique permettant de les aider dans de nombreuses tâches, dont la traduction automatique et diverses aides tactiques. Dans ce cas précis un plan de la station. Les informations étaient directement transmises à leurs yeux grâce à une lentille. Ces lentilles pouvaient également offrir une certaine protection contre la lumière en devenant plus opaque. Mais généralement, les tenues de combat offraient des protections plus efficaces directement intégré dans les casques. Ortega interrompit la marche de Bertinelli.
— Commandant, ici c'est un poste de surveillance, dit-elle en pointant la porte à côté d'eux.
— Très bien, on va entrer.
Le lieutenant se mit sur un des côtés de la porte, le commandant devant, prêt à entrer en force. Il analysa rapidement la situation et actionna la commande d'ouverture. Au moment où la porte s'ouvrit, il abattit deux lézards pris de vitesse. Puis un troisième qui tenta de dégainer maladroitement son arme. Mais un quatrième tenait en otage un employé de la station. Une douzaine de personnes étaient retenues dans la pièce. Le lézard preneur d'otages poussa un petit cri, proche de celui d'un chat mécontent, mais en plus pénible encore. Il se tenait derrière son otage, le bras en travers de la gorge et l'arme pointée sur la tête de l'humain. Bertinelli n'hésita pas et tira une balle en plein dans la tête du lézard qui s'effondra au sol sans vie. L'otage était quelque peu choqué d'avoir entendu le projectile si près de son oreille.
— Rassurez-vous, nous sommes d'ARGOS. Commandant Bertinelli du Thésée et voici le lieutenant Ortega. Nous sommes là pour vous secourir.
Conscient du choc que son intervention musclée avait causée, Bertinelli prit le temps de détacher les otages.
— Si quelqu'un a des informations concernant la situation des systèmes de défense, informez le lieutenant, je vais patrouiller rapidement.
L'un des otages, visiblement un technicien s'approcha du lieutenant.
— On a pas compris ce qu'il se passait, tout allait bien puis d'un coup, ils sont arrivés avec leurs capsules. Les tourelles ne se sont pas mises en route...
— Cela veut dire qu'ils avaient déjà du monde à l'intérieur... Vous avez eu des visiteurs inhabituels dernièrement ? Demanda le lieutenant.
— Euh non, pas que je sache, hésita le technicien, on attendait votre arrivée pas grand-chose de plus.
Ortega réfléchit à la situation quelques secondes.
— Attendez, vous étiez au courant de notre arrivée ?
— Oui, presque tout le monde était impatient de voir le fameux Thésée. C'est un sacré bestiau que vous avez. C'est rare de croiser l'un des Argonautes.
— Oui, tout aussi rare que les Sauvages qui attaquent une station de l'alliance... Merci de votre coopération.
Ortega s'éloigna du technicien, plutôt inquiète de la situation. Elle fit part de ses soupçons au commandant.
— Théorie intéressante lieutenant, on tentera de la vérifier une fois le contrôle de la station repris. Et cela va s'avérer complexe, ça grouille de lézards en direction du poste de commandement.
— Oh, commandant, ce n'est pas une armée de sauvages qui va vous arrêter tout de même plaisanta Ortega.
— À partir d'un millier, ça me force à réfléchir.
Le commando se prépara au combat. Malgré leur ton léger, la situation était critique. La meilleure tactique était de séparer les lézards et de réduire leur nombre progressivement. La tactique de Bertinelli était simple, ils allaient profiter des faiblesses visuelles des lézards en les aveuglant. Ils étaient très sensibles aux lumières vives clignotantes. Pour cela, Ortega se connecta au système de sécurité de la station et activa les alarmes visuelles et sonores. Les couloirs s'illuminèrent de rouge. L'élimination des lézards sur le chemin fut alors assez simple. Perturbés par les lumières, ils ne parvenaient pas à se concentrer et à viser. En quelques minutes, le commando prit possession du poste de contrôle des tourelles.
— Commandant, j'ai une mauvaise nouvelle. Je ne peux pas reprendre le contrôle des commandes, elles ont été piratées. Elles sont opérées à distance. Je ne peux pas faire grand chose pour empêcher ça, mais je vais tenter de tracer le signal pour savoir où se situe le pirate. Laissez-moi quelques minutes.
— Réglez ça avant que les lézards arrivent à désactiver l'alarme.
Comme pour se moquer de lui, l'alarme s'interrompit au même moment.
Le commandant soupira.
— Ils ne sont pas capables de faire ça seuls, quelqu'un les aide, c'est sûr, constata Ortega.
— Commando, ici le Thésée, je ne sais pas ce que vous faîtes, mais ça ne marche pas. Les tourelles nous visent.
À bord du Thésée la situation devenait critique. Les tirs des vaisseaux Sauvages avaient été encaissés sans trop de problèmes, mais soudainement les tourelles de défense de la Station s'étaient mises en route et pointées sur le Thésée. Elles ne faisaient toutefois pas encore feu.
— Bon sang, c'est le pirate ! Il essaye de nous forcer la main en menaçant le vaisseau. Je continue commandant ? Demanda Ortega.
— Oui, de toute façon, il faut qu'on retrouve ce type. Rien ne nous dit qu'il ne fera pas feu si vous abandonnez sa traque. Thésée, les tourelles ont été piratées, nous allons partir à la poursuite du pirate et l'éliminer. Tenez bon.
— Bien reçu commandant, on compte sur vous. On tiendra autant de temps que possible sous le feu des tourelles, mais à un moment donné, on devra partir et vous serez seuls pour régler la situation.
— Pas de problèmes capitaine. On s'en occupe.
— Trouvé, il n'est pas loin. Mais c'est là-bas que sont le gros des troupes sauvages.
— Rien d'étonnant. J'ai bien fait de prendre ces petites merveilles.
Il donna au lieutenant une poignée de grenades au cosmonium. Pratique à utiliser dans des intérieurs critiques comme ceux d'une station ou d'un vaisseau elle explosaient en une décharge énergétique ne causant que de très faibles dégâts matériels. Elles pouvaient en plus de cela être directement tirées depuis les fusils d'assaut d'ARGOS. Le commando installa les petites grenades dans l'emplacement prévu et partit à l'assaut.
La première grenade neutralisa les trois lézards qui s'approchaient.
Le lieutenant en élimina cinq autres avec deux décharges. Le stock de grenades des deux soldats y passa rapidement et les effectifs sauvages se réduisirent drastiquement. Les deux derniers furent abattus par le commandant. La zone maintenant nettoyée, Bertinelli pénétra dans le local où était caché le pirate. Il s'agissait en effet d'un humain qui tenta vainement de tirer sur le commandant, ce dernier ne lui laissa évidemment pas le temps de réagir et le neutralisa, le laissant tout de même en vie, en lui tirant simplement une balle dans le bras afin qu'il lâche son arme. Il s'approcha rapidement du traître et le plaqua contre le mur en l'agrippant au niveau de la gorge et appuyant sur sa blessure avec son autre main.
— Pour qui tu bosses vermine ? Crache le morceau avant que je te fasse regretter ta naissance, menaça le commandant dans une fureur inattendue.
Le pirate eut un petit rire étouffé dans sa douleur.
— Vous avez sauvé votre joli vaisseau, vous êtes contents chiens du Conseil ? dit le pirate cherchant à provoquer le commandant.
À ces mots, le visage de Bertinelli changea. La colère qu'il montrait afin de faire peur au pirate se changea en pure froideur. Il assomma le pirate d'un violent coup de poing. Il retira ensuite une prothèse dentaire de la bouche du traître.
— Il fait partie d'un groupe de dissidents anti-alliance. Ils préfèrent se donner la mort plutôt que de se faire capturer, dit le commandant en direction d'Ortega qui se posait visiblement des questions.
Le lieutenant savait de quoi son chef était capable, mais le voir en action était bien plus parlant que son dossier. Bien que compétente, elle n'était pas habituée aux opérations sur le terrain et encore moins quand des histoires de trahisons et dissidences politiques étaient impliquées.
Alors que le lieutenant reprenait le contrôle des tourelles, les scanners spatiaux détectèrent l'arrivée imminente d'un autre vaisseau d'ARGOS. Le Jason un autre vaisseau d'élite, mais au contraire du Thésée qui était destiné à l'exploration lui était conçu pour le combat.
L'arrivée du Jason fut littéralement explosive, aussitôt sorti d'hyperespace, il déversa un flot de drones de combat qui éradiqua la flotte des Sauvages en seulement quelques minutes. Cette technologie de drones de combat avait été récupérée d'une mission scientifique. Une technologie des habitants du Cœur de la Galaxie retrouvée par hasard se fixa au vaisseau et l'équipa de ces drones. Toutes les tentatives des techniciens d'ARGOS afin de l'extraire échouèrent. Néanmoins, l'arme était sous le contrôle du vaisseau et ne présentait pas de risques. Les quelques données de l'Alliance concernant les habitants du Cœur faisaient mention de technologies abandonnées utilisables. Les créateurs de la Bibliothèque d'Agora, source des connaissances de l'Alliance sur la Galaxie, utilisaient déjà des technologies du Cœur plusieurs milliers d'années avant que l'Alliance ne récupère cette Bibliothèque et ne l'utilise comme capitale.
— Alors Thésée, des soucis avec les lézards ? Heureusement qu'on était dans le coin.
Comme beaucoup de capitaines d'ARGOS, celui du Jason avait participé à la guerre des Raids en compagnie du colonel Andersen. Avec l'aide des troupes du Jason le contrôle de la Station Epsilon fut vite repris. Il s'avérait que le vaisseau de combat devait se rendre sur la Station afin de se ravitailler. Au moment d'arriver, il détecta la présence des vaisseaux sauvages et du Thésée.
Mais un mystère demeurait toujours, pourquoi prendre le risque d'attaquer une station d'ARGOS en sachant pertinemment que deux des Argonautes seraient sur place au même moment. Une seule personne pouvait encore y répondre et grâce à la délicatesse du commandant, cette personne respirait encore.