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Prologue Chapitre 1 - Le Roi Raegan Chapitre 2 - La naissance

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Ongoing 2654 Words

Chapitre 2 - La naissance

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La stupeur figeait toutes les personnes présentent dans la pièce. Toutes sauf Saerehna, la femme de Raegan, qui souffrait le martyre. Son corps suintait, le sang coulait à flot de ses parties intimes, et elle tremblait comme une feuille morte d’automne.

Les soigneurs tentaient de ne pas garder leur attention sur le bébé pour aider la Reine, qui voyait sa vigueur faiblir de plus en plus. Mais Raegan, lui, maintint son regard rivé sur son enfant, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte.

Le même médecin qui était venu le chercher passa sa main sur son crâne chauve d’un geste nerveux puis gratta sa nuque et supposa auprès du Roi :

—  Peut-être… qu’il faut attendre quelques jours pour que ses écailles prennent leur véritable couleur, votre Majesté.

Raegan ne répondit rien, comme paralysé de la tête aux pieds. Le médecin se racla la gorge et poursuivit :

—  Peut-être… qu’il faudrait demander conseil auprès de Sire Vanarion.

—  Non, refusa aussitôt Raegan d’un ton sec.

Il n’osa pas toucher son propre enfant et remonta pudiquement la couverture sur ce dernier, comme s’il en était répugné.

—  Ce n’est peut-être pas un garçon…, mais ce n’est pas si grave, si ? supposa un autre soigneur.

—  Que ce soit une fille, ce n’est pas un problème, réfuta le Roi d’un ton fébrile. Mais ses écailles… ses cheveux….

Il marqua un temps de silence et poursuivit en murmurant :

—  Ils sont noirs….

—  Mais qu’est-ce que cela signifie, votre Majesté ? s’enquit le médecin.

Raegan ne répondit pas tout de suite et perdit son regard sur les paupières fermées de son nouveau-né, qui pleurait et remuait lentement son corps encore maculé du sang de sa mère. Il soupira et finit par expliquer d’un ton chagriné :

—  Elle est maudite….

—  Maudite… ? s’inquiéta le médecin. Que-… c’est-à-dire, votre Majesté ?

—  L’énergie sacrée qui coule dans nos veines… ne coule pas dans les siennes.

—  Raegan…, appela sa femme d’une voix faible.

Le Roi tourna aussitôt son attention vers son épouse qui, malgré sa grande faiblesse ainsi que la douleur qui tiraillait tout son corps, parvenait à garder les yeux ouverts. Elle lui offrit un maigre sourire, crispé par sa souffrance. Raegan s’approcha d’elle pour se saisir tendrement de sa main et l’embrassa sur le front avant de lui chuchoter :

—  Repose-toi….

—  Je ne vais peut-être pas survivre…, souffla-t-elle avec difficulté.

—  Ne dis pas n’importe quoi. Tu survivras, Saerehna.

—  Raegan-….

—  Tu survivras ! sermonna-t-il en haussant le ton.

Les larmes inondèrent les yeux argentés de la Reine qui resta médusée face à la réaction de son mari. Ce dernier lâcha la main de sa sœur pour glisser ses doigts dans ses cheveux d’un geste nerveux.

 

Sa respiration fébrile ainsi que ses mains tremblantes trahissaient la colère ainsi que la peur qui le dévoraient. Il inspirait et expirait lourdement à maintes reprises, tentant de contenir ses tensions.

Mais en apercevant une perle couler lentement le long de la joue de Saerehna, il se figea, la respiration brièvement coupée, le cœur serré, et comprit enfin à travers la pâleur de sa peau ainsi que de ses écailles qu’elle n’était plus si loin de la Mort.

Il se rua alors sur elle pour encadrer sa tête entre ses deux mains et lui supplia d’un ton fébrile :

—  Saerehna…, ne m’abandonne pas, je t’en supplie. J’ai besoin de toi….

Les larmes ruisselèrent à son tour sur ses joues et s’égouttèrent abondamment sur le col de sa robe royale. Mais Saerehna, malgré la Mort qui s’approchait dangereusement d’elle, lui offrit un doux sourire perlé de douceur et lui murmura d’une voix mielleuse :

—  Tu t’en sortiras, Raegan…, j’en suis certaine.

—  Nous n’avons pas de garçon…, pas de-…

Il interrompit sa phrase pour se pincer les lèvres et poursuivit :

—  Notre lignée….

—  Il y a toujours notre cousine…, je ne suis rien. Rien d’autre qu’une femme, conclut-t-elle avec amertume.

—  Tu es ma sœur, corrigea-t-il d’un ton rauque. Et ma femme.

Searehna tendit faiblement son bras pour caresser le visage de son frère. Ce dernier frotta affectueusement sa joue humide contre la paume de sa main et ferma un instant les yeux : il chercha la chaleur de sa peau, mais il constata rapidement que le bout de ses doigts était glacial.

Il déglutit difficilement et n’osa pas ouvrir les paupières, refusant de faire face à une dure réalité. Searehna interrompit cependant le silence pour exiger d’une voix toujours vacillante :

—  Cependant, Raegan…, avant que je meurs…, j’aimerais que tu fasses quelque chose pour moi.

Raegan prit une grande inspiration puis parvint à ouvrir les yeux pour croiser le regard de sa sœur. Il ne put s’empêcher de verser de nouvelles larmes malgré la douceur de son sourire.

 

Car, malgré l’éducation que ses parents lui avaient imposée, lui supposant que sa sœur ne serait qu’une femme à enfanter et rien d’autre, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver de l’affection pour elle, un profond attachement qu’il avait cultivé en passant du temps à ses côtés, chose qu’il n'avait normalement pas le droit de faire durant son enfance. Mais peu importaient ces règles austères : il aimait sa sœur.

A l’idée de la perdre à jamais, Raegan sentait déjà un vide le submerger, le ronger, un linceul glacial s’insinuer en lui jusqu’à l’os. Il en tremblait déjà d’horreur, effrayé à l’idée de sentir cette noirceur sempiternelle conquérir son âme.

Résigné à l’idée de la perdre, il secoua négativement la tête et se redressa tout à coup pour ordonner aux médecins présents dans la pièce :

—  Faites tout pour la sauver. Si elle meurt, je ne veux plus vous voir au sein de ce château. Et si elle survit, vous serez tous récompensés généreusement.

—  Raegan…, appela Saerehna, s’il-te-plaît, écoute-moi….

Tandis que les médecins redoublèrent d’effort pour trouver une solution, le Roi soupira et s’agenouilla à nouveau pour être au niveau de sa sœur et lui indiqua d’une voix douce :

—  Tout va s’arranger, tu verras.

—  Raegan…, écoute-moi, répéta-t-elle.

Raegan se pinça les lèvres puis hocha simplement la tête en guise de réponse. Saerehna prit le temps de reprendre son souffle avant de se saisir à son tour de la main de son frère. Elle la serra le plus fortement possible dans la sienne et lui indiqua :

—  Fais en sorte… que notre fille vive bien, et confortablement. Je souhaite qu’elle soit heureuse et épanouie.

—  Mais Saerehna…, soupira Raegan. Elle est-…

—  Peu importe la couleur de ses écailles et de ses cheveux, interrompit la Reine. C’est notre fille.

Elle serra davantage la main de son frère dans la sienne et poursuivit d’un ton mielleux :

—  Notre enfant.

Raegan expira lourdement puis secoua la tête avant de rétorquer :

—  Elle est maudite….

—  Et alors ? Tu m’as écoutée, Raegan ?

—  Oui, je t’ai écoutée. Mais comment réagira notre famille face à cette découverte ? Et Vanarion ?

—  Ils devront l’accepter, qu’ils le veuillent ou non. Si ce n’est pas de ta volonté de la protéger, ce sera de la mienne. Je signerai un traité s’il le faut.

Raegan fit signe de comprendre les mots de sa bien-aimée, mais ses yeux teintés de colère et de frustration le trahissaient. Cependant, Saerehna ne se découragea pas face à son mari résigné à l’idée de protéger leur enfant, et rajouta en tirant légèrement sur les cheveux de Raegan :

—  Si tu n’écoutes pas ma volonté, je te promets que des Cieux je te ferai vivre un Enfer.

Il dodelina de la tête puis posa délicatement sa main sur la joue de sa femme et murmura :

—  Je ferai ce que tu souhaites. Sois sans crainte.

Elle hocha la tête en guise de réponse, cependant l’air peu confiant à l’égard de son mari. Mais ce dernier voulait clore cette conversation : il n’admettait pas l’idée de perdre sa sœur et préférait espérer qu’elle survive.

—  Roi Raegan, interpela un des médecins. Nous devons la soigner au plus vite.

—  Je m’en vais m’occuper de… notre fille, répondit ce dernier avec la gorge nouée.

Il observa un dernier instant sa sœur avant de lui accorder un doux baiser protecteur sur le front. Saerehna lui rendit un sourire tendre et lui susurra un « je t’aime » à peine audible. Raegan déglutit difficilement et retint ses nouvelles larmes pour ne pas sangloter une fois de plus devant sa femme mourante.

Lorsqu’il se redressa, ce fut plus fort que lui : il ne put s’empêcher de verser quelques larmes tout en contemplant la beauté angélique de sa femme qui, malgré le visage tiraillé par la douleur ainsi que la faiblesse, préservait un charme incroyable.

Elle élargit le sourire et fit signe de la tête à son mari vers leur fille. Ce dernier riva son attention sur celle-ci qui remuait encore dans son berceau désormais maculé du sang maternel. Il déglutit difficilement et tenta de dissimuler son dégoût pour venir se saisir de son enfant.

 

Il garda un instant les yeux fixés sur elle, détaillant les courbes de son visage enflé de bébé, la naissance de ses petites cornes qui formait une petite bosse au-dessus de ses tempes, ses écailles en maigre quantité sur son corps à la peau si fragile.

Malgré le mépris qu’il éprouvait à son égard, il ne pouvait cependant pas s’empêcher de ressentir cet amour paternel qui la liait à elle, qui le poussait à vouloir la protéger et la couvrir d’amour. « Elle est juste différente, sûrement… », pensait-il.

Une nouvelle perle longea sa joue blanche et s’égoutta sur le buste de sa fille. Il la dirigea vers lui et la blottit contre son torse pour l’étreindre. Après quoi, il l’observa à nouveau et murmura d’une voix tiraillée par le chagrin :

—  On va prendre ton petit bain….

Il jeta un dernier coup d’œil vers sa sœur qui avait fermé les yeux, mais qui fronçait de temps en temps les sourcils sous le coup de la douleur qui pulsait dans son bassin. Raegan fit une brève prière puis quitta la chambre d’un pas mou et lent tout en regardant sa fille qui s’était calmée.

Elle gardait la tête blottie contre le buste de son père, les bras recroquevillés et le souffle haletant. Elle semblait paniquée, effrayée, et trouvait refuge auprès de son parent qui, pour tenter d’apaiser les tensions évidentes de son nouveau-né, caressait son dos en effleurant à peine sa peau humide du bout de ses doigts.

Mais durant son trajet vers la salle d’eau, Raegan fit une rencontre inattendue. Il se pétrifia et écarquilla les yeux, puis serra davantage sa fille contre lui en tentant de la dissimuler sous ses couvertures fines et souffla d’une voix fluette :

—  Vanarion….

Ce dernier, qui marchait en s’appuyant sur une canne sertie d’or et de pierres, le dos voûté et les jambes peinant à tenir en équilibre, dressa la tête et esquissa un très large sourire avant de se réjouir :

—  Mon petit-fils ! Je veux voir mon petit-fils.

 

***

 

Un nouveau vase brisé. De nombreux débris qui maculaient le sol de la chambre qui était dédié au nouveau-né. Raegan regardait Vanarion s’énerver et briser tout ce qu’il pouvait dans la chambre de sa fille, qui avait recommencé à pleurer. Le Roi faisait de son mieux pour tenter d’apaiser son enfant, mais celle-ci s’agitait dans les bras de son père et hurlait.

Vanarion donna un soudain coup de poing dans le mur et l’abîma en le faisant légèrement vibrer. Raegan haussa les sourcils, surpris par la force soudaine de son ancêtre. Après quoi, le vieil homme s’arrêta, essoufflé, la sueur maculant abondamment son corps chancelant.

 

Le silence. Pesant. Lourd. Sombre.

 

Le Roi fit un léger pas en arrière et broya un morceau de verre sous son pied. Le bruit réveilla Vanarion qui tourna rapidement sa tête vers son descendant.

Ses yeux étaient davantage luisants, et son visage reflétait un air menaçant.

Malgré sa faiblesse, il jeta sa canne et parvint à marcher vers le Roi qui reculait encore et encore, jusqu’à se retrouver le dos collé contre le mur. Il déglutit difficilement et défendit sa fille :

—  Ce n’est peut-être pas si grave, Vanarion….

—  Pas si grave ? reprit-il d’une voix rauque. PAS SI GRAVE ?!

Il envoya une onde soudaine de Lumière qui heurta violemment le mur près de Raegan et le fissura. Le sol se mit à trembler durant quelques secondes avant que le calme revienne. Vanarion agrippa fermement le bras qui retenait la fille du Roi et menaça d’un ton sombre :

—  Il faut… la tuer.

Raegan écarquilla les yeux et riposta aussitôt :

—  Non.

—  Tu ne comprends pas…, tu ne comprends pas ce que cela signifie, Raegan.

—  C’est ma fille.

—  C’est un monstre ! Elle revient-…, elle revient pour se venger, c’est sûr !

—  Qu’est-ce que vous racontez… ?

—  Nelaria…, ma sœur. Elle s’est réincarnée pour venir me tuer !

—  Vous perdez la tête, Vanarion…, la réincarnation n’existe pas. Et pourquoi naître ici, où elle pourrait facilement être tuée, plutôt que dans une autre famille. Réfléchissez….

—  C’est elle, je te dis. Cela ne peut être qu’elle. Tue-la, Raegan, tant qu’il est encore temps.

—  Jamais.

Vanarion enfonça ses griffes dans la chair de son descendant qui serra les dents sous la douleur. Mais il ne céda pas face à l’oppression de son ancêtre, la tête haute et droite, et les bras protégeant précieusement son enfant.

 

Malgré sa colère, le vieil homme n’était pas capable de faire davantage de mal à son descendant : il était l’espoir qui ferait perdurer la lignée des Arthenis. Il relâcha alors la prise sur son bras et poussa un lourd soupir d’exaspération et de frustration. Cependant, de sa voix abimée par ses nombreux cris de rage, il lui prévint :

—  Ta fille vivra un enfer, Raegan. Si tu tiens à la pérennité de notre lignée, j’espère que tu suivras mes conseils.

Raegan remua mollement la tête et répondit simplement :

—  J’essaierai.

—  Ne sois pas stupide. Tu veux la fin de notre lignée ? La fin des Arthenis ?

Le regard insistant et méprisant de Vanarion intimida le Roi qui, après s’être raclé la gorge, répliqua :

—  Je ne veux rien de tout cela. Mais j’ai besoin de temps pour moi, Vanarion. Je vous en conjure.

Sa gorge se noua et son cœur pulsa douloureusement au creux de sa poitrine. Il prit une grande inspiration et tenta de retenir ses larmes avant de poursuivre :

—  Ma femme est mourante. Je veux prier pour que les Dieux lui viennent en aide. Si vous tenez vous aussi à notre lignée, vous pouvez comprendre cela.

Le visage de Vanarion se détendit soudainement. Il resta un instant figé, l’air surpris, puis hocha la tête à maintes reprises.

—  Bon, bon…, soupira-t-il. Très bien. Je te laisse tranquille pour l’instant. Mais je te préviens : une fois ta femme guérie, tout devra repartir.

Raegan acquiesça d’un simple hochement de tête pour mettre fin au plus vite à cette conversation. Cependant, il ne comprenait pas ce que Vanarion signifiait à travers cette affirmation : « Tout devra repartir ».

Les questions fleurirent abondamment dans la tête du Roi, qui préférait néanmoins s’éclipser plutôt que de faire encore face à son ancêtre. Dans le couloir, il observa sa fille qui tremblait dans les bras de son père, comme si elle avait peur. D’un geste tendre, il effleura le sommet de sa tête et descendit ses doigts vers son dos pour garder sa main dessus et la caressa avec son pouce.

« Ta fille vivra un enfer », se répétait-t-il incessamment. Il ne savait pas ce que l’avenir réservait pour sa fille. Et si elle allait survivre face à la répression de Vanarion. Il ignorait également si sa femme allait survivre. S’il aurait un jour une lignée digne du nom des Arthenis. Le futur l’angoissait car tout était flou : l’obscurité, encore, qui le rongeait et qui le terrifiait.

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